Baby Rhodes. Les Rhodes, c'est papa & maman qui s'aiment à s'en crever le cœur. C'est la triade de gamins bruns qu'on peut difficilement différencier. On sait juste qu'il y a l'aîné, le benjamin, puis Charlie, le bébé. Le bébé surprise, celui qu'on attendait plus après les deux garçons. Celui qu'a fait dire à maman "chouette, une à qui je pourrais faire des couettes". Qu'a fait souffler papa, parce qu'il y était presque. Trois garçons, comme lui et ses frères. D'où le prénom Charlie d'ailleurs. Une petite fille élevée parmi les hommes, avec papa qui partait chaque matin, son insigne bien accrochée à son uniforme bleu et ses frères qui lui apprenaient à se battre. Elle en a récolté des hématomes Charlie. Victime des duels improvisés et des meilleures prises de catch risquées. Faut dire qu'elle était petite et légère pour eux, facile à faire voler. Facile à emmener partout aussi. On dit souvent des Rhodes qu'ils sont unis, indivisibles. C'est vrai. Les garçons n'ont jamais râlé d'avoir leur petite sœur dans les pattes. Et aujourd'hui, c'est elle qui râle quand il joue encore aux grands frères protecteurs. "Et ma sœur, tu comptes la traiter correctement ? Tu vois d'autres femmes à côté ?". Et Charlie qui souhaite juste que le sol s'ouvre sous ses pieds et l'avale dans ces moments-là. Mais elle ne dit rien Charlie, elle profite, chérit, donne sans rien attendre en retour. Forcément, ça donne encore plus envie de la protéger. Mais ça fait bien longtemps qu'elle n'a plus besoin d'être protégée Charlie. Parce qu'elle a trouvé son feu intérieur, sa propre voix. Elle a grandi parmi les garçons qui lui ont appris à ne jamais se laisser marcher sur les pieds. C'est une tête brûlée désormais, Charlie, une de celles qu'on arrête pas quand elles sont lancées. Papa fête tout juste sa retraite, et elle passe ses journées libres auprès de lui. Parce que c'est pas facile de raccrocher après une si longue et belle carrière, c'est pas facile de ne plus se sentir aussi utile qu'avant. Et puis, il y a maman à gérer. Maman qui est malade depuis un moment, maman qui est persuadée de voir et d'entendre des choses qui ne sont pas vraiment là. Pourtant, les Rhodes ça reste une belle famille. Sa famille. Ça reste ses plus beaux souvenirs et sa plus belle fierté. Et ô comme elle est reconnaissante Charlie, d'être née Rhodes. Et pour rien au monde elle ne voudrait les changer.

Oakwood. Une naissance à Bristol mais un cœur qui appartient à Oakwood, voilà l'âme de Charlie. Cette ville qu'elle connaît par cœur et qui l'a vu grandir, cette ville qu'elle ne se voit jamais quitter. Oakwood, tu sais tout de moi. Ses après-midis dans les champs à courir derrière ses frères les yeux bandés, les moments partagés avec maman au Melhill stables puis à Oakwood rescue center en grandissant. Les pique-niques à Blue Valley. La station de police qu'elle connaît comme sa poche parce qu'elle en a passé du temps, assise sur la chaise de bureau tournante de papa, à dessiner son héro préféré : lui. Le Woody's bar où il l'emmenait de temps en temps, puis l'aquarelle où elle s'est découverte une passion pour le dessin. Oakwood c'est chez elle, c'est la maison. Et Charlie, elle a du mal à comprendre qu'on veuille la quitter, elle a du mal à imaginer qu'on puisse faire ses valises du jour au lendemain et partir.

Cold Brew Coffee. Charlie, elle avait des rêves plein la tête. De grands rêves. Elle se voyait déjà médecin, les mains gantées pleines de sang à hurler "qu'on m'amène un scalpel et un kit d'intubation !". Parce qu'elle a grandi avec les docteurs John Carter et Doug Ross, la belle. Elle s'imaginait sauver des vies, aider son prochain, donner un sens à son existence. Elle en était capable, elle le savait. Et puis maman s'est ouvert le poignet un jour. C'était accidentel, d'après elle. Et Charlie, elle a tourné de l'oeil devant tout ce sang. Elle a senti la chaleur envahir son corps de manière suspecte, elle a reconnu les symptômes bien distincts de la crise d'angoisse pointer le bout de leurs nez. Et puis, ont suivi les bouffés de chaleur, les sueurs froides et les vertiges. Soudain, Charlie ne voulait plus être médecin. Elle en était incapable. Parce que la seule vue du sang lui faisait tourner de l'oeil. Ça avait l'air tellement plus simple à la télé. Mais qu'est-ce qu'elle pouvait faire d'autre, la jeune Rhodes ? Perdue et terrifiée face à un avenir qui ne lui conviendrait pas. Elle avait déjà tout imaginé dans sa tête. C'était clair, précis, tracé. C'était jusqu'à sa majorité, jusqu'à ce qu'elle commence à travailler au Cold Brew Coffee à côté de la fac. Pour se faire de l'argent, pour acquérir de l'expérience, pour aider à surmonter sa timidité. Douze ans après, elle est toujours là Charlie. A servir les gens, à griffonner des "bonne journée" ou des messages plus personnalisés sur les gobelets des habitués. Le rayon de soleil de la journée, la première personne à qui ils adressent la parole parfois. Alors elle a compris Charlie, qu'il n'y a pas besoin de savoir pratiquer une trachéotomie avec un bouchon de stylo pour changer des vies. Il suffit parfois d'un sourire, d'une parole apaisante. Et finalement, le Cold Brew Coffee est devenu son Cook County particulier, sa manière à elle de laisser une trace, de changer le monde. Son monde.

Ding, ding ! Welcome sweet thirty. Elle a beau être à l'aise dans ses baskets Charlie, elle ne peut s'empêcher de ressentir cette pression sociale qui l'angoisse. Fière fille de flic qui n'a pas peur de dire ce qu'elle pense, d'aider à faire respecter les lois, de guider sur le bon chemin. Fière membre de la communauté queer qui pourrait expliquer à qui voudra pourquoi elle pourrait tomber amoureuse d'un homme, d'une femme, d'une personne non-binaire. Mais trentenaire timide. Parce qu'entrer dans le club de la trentaine, c'est entendre des "trente ans, c'est le bel âge tu verras. Après, tout s'accélère" ou encore "tic tac tic tac, il ne te reste plus beaucoup de temps. A quand le mariage et le bébé ?". C'est pas son genre pourtant à Charlie de tout remettre en question, mais parfois elle se demande. Est-ce que j'ai raté quelque chose ? Est-ce qu'elle aurait dû faire les choses différemment ? Mieux ? Est-ce qu'elle finira seule, sans mari ni enfant quand sonnera la dernière heure ? Et elle a beau feindre l'indifférence, elle sent petit à petit ses peurs se réveiller, Charlie. C'est ça qu'on appelle la crise de la trentaine ?